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Entretien avec Sayouba Bonkoungou – APEDR– l’accès au foncier aux femmes du Burkina Faso

Lors de la visite de Sayouba Bonkoungou, responsable au Burkina Faso de l'Association pour la Protection de l'Environnement et le Développement Rural - APEDR- aux locaux du CARI le 12 mars 2020, nous avons eu le plaisir de pouvoir l'interroger sur la thématique du foncier, et plus précisément sur l’accès aux femmes au foncier. Retour sur cet interview.

- Quel est l’état des lieux du foncier au Burkina Faso ?

Sayouba Bonkoungou : "Le foncier c’est très complexe. Culturellement, la femme n’a pas le droit à la terre. Par exemple quand il y a un mariage, la femme va vivre chez son mari mais n’a pas le droit à la terre et souvent le mari n’est pas propriétaire terrien ( ce sont plutôt des notables qui se les transmettent entre générations depuis des “périodes ancestrales”, il n’y a pas de location ni vente des terres, les gens peuvent exploiter les terres sans contreparties, mais à chaque fin de saison ils donnent des biens aux propriétaires comme symbole de reconnaissance), pour cultiver il faut demander aux propriétaires, donc c’est encore plus dur pour les femmes d’accéder aux terres. Le propriétaire terrien ne donne pas de contrat formel pour prêter ses terres aux exploitants agricoles, il fait un “don” pour qu’ils utilisent leurs terres et les agriculteurs savent quel territoire ils peuvent exploiter. Ces propriétaires sont vus comme des personnes ressources du village (dans certains cas, un village tout entier peut être sous la propriété d’une personne ressource). Quand la personne qui a demandé l’accès aux terres meurt, sa femme peut continuer à utiliser sa terre mais les prochaines générations n’auront pas un droit sur ces terres, elles devront de nouveau demander d’exploiter les terres de tel propriétaire. Ce qui crée de plus polémique c’est d’acheter des terres pour en faire une propriété privée : de modifier l’accès à la terre est très mal vu, donc le moyen de pérenniser l’accès à la terre est la création d’espaces communautaires dans les villages."

 

- Est-ce qu’il y a des facilitations au niveau législatif pour que les femmes puissent accéder au foncier ?

 

Sayouba : "Au niveau législatif il n’y a pas de facilitation pour les femmes d’accéder aux terres et le droit législatif ne s’applique pas souvent. Il n’y a pas de cas de transfert formel entre propriétaire et exploitant pour utiliser les terres, tout se fait à l’oral mais des personnes peuvent payer pour que la zone devienne privée. En faisant cela, ils pensent sécuriser les terres par cet achat or cela ne veut pas dire qu’ils peuvent l’exploiter impunément (des descendants des propriétaires terriens peuvent refuser l’achat et faire valoir leurs “droits ancestraux”. Le foncier n’est pas bien organisé, et il y a beaucoup de problèmes à cause de ça). "

 

- Pouvez-vous nous parler des projets de votre association pour les groupements des femmes et leur permettre un accès à la terre ?

 

-Sayouba : "Nous avons mis en place dans des projets du renforcement de capacités pour des groupements de femmes maraîchères, et son objectif est de négocier l’accès à la terre pour produire, donc d’abord initier des échanges avec les élus locaux, les propriétaires terriens, leur montrer les avantages de ce travail (les femmes travaillent leurs terres, les valorisations sociales, les questions d’insécurité alimentaire, le revenu des femmes…) pour négocier une partie de leur terre. Ces parties sont exploitées en saison pluvieuse par les propriétaires terriens donc ils peuvent passer leur terre seulement sur les saison sèche. Il y a un dilemme entre l’apport de fumiers en saison sèche qui ensuite favorise les cultures en saison pluvieuse des propriétaires terriens : ils acceptent que les femmes viennent cultiver sur leurs terres en saison sèche, et récupèrent ensuite leurs terres enrichies pour cultiver en saison pluvieuse. L’association essaye donc de négocier pour avoir un accès illimité aux terres avec des contreparties : pendant les saisons pluvieuses elles peuvent donner une cotisation aux propriétaires pour qu’ils ne soient pas pénalisés de ne pas cultiver en saison pluvieuse et donc elles peuvent cultiver toute l’année. Leur objectif est de formaliser la négociation pour que la terre “appartienne” aux groupements de femmes : ce n’est pas de céder ses terres aux femmes qui pose problème mais juste de céder les terres à d’autres personnes, qu’elles soient masculines ou féminines.

En agriculture, la femme est dite transversale : la femme participe à toute la production sur les terres qu’exploite le ménage, mais les femmes travaillent plus pour la commercialisation des produits de saison sèche. La femme n’a que accès au grenier pour la consommation familiale mais pas pour la commercialisation des céréales qui se fait en saison pluvieuse. Seul l’homme a le droit de prendre une partie du grenier pour sa commercialisation. 

La production et commercialisation des légumes en saison sèche est majoritairement tenue par les femmes, ce n’est pas ce que nous dit la formation : conflit entre les femmes qui ne peuvent qu’exploiter les terres pour la production de subsistance du ménage et elles ne peuvent pas exploiter les terres pour la production destinée au commerce."

- Habituellement, les terres que peuvent travailler les femmes sont-elles de moins bonne qualité ?

Sayouba : "Les femmes n’ont pas forcément accès qu’à des terres de mauvaises qualités, et les femmes produisent dans des parcelles qui sont souvent très proches des maisons, et pas forcément de mauvaises qualités. La femme participe à la production communautaire du ménage. Les femmes demandent des parcelles aux propriétaires terriens, ou bien la femme peut récupérer des terres que le mari ne travaille plus. C’est une exagération de penser cela, c’est plutôt une vision occidentale de l’Afrique."

Merci à Sayouba Bonkoungou de l'APEDR pour ces échanges très intéressants. 

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